Lectures Érotiques (7). Emmanuelle Arsan : Emmanuelle Ii, LAnti-Vierge
Emmanuelle est en fait un livre en deux parties, sous le même titre mais avec deux sous-titres correspondant aux deux parties successives : La Leçon d'homme et L'Antivierge.
Séparés au début par un éditeur clandestin un peu pressé, les deux morceaux ne se retrouveront en librairie sous le titre commun d'Emmanuelle que huit ans plus tard, encore qu'en deux volumes.
Par la suite, les aléas de la librairie, et des histoires de droits dauteur compliquées plongeront L'Antivierge, encore une fois, dans une étrange absence. Disparue des rayonnages depuis près de vingt ans, la voici réunie à La Leçon d'homme par la volonté de l'auteur et d'un éditeur pour une fois d'accord, ainsi qu'il convient. Enfin une Emmanuelle intégrale, et par-dessus le marché dans une collection accessible à tous. « L'érotique du siècle » va enfin pouvoir être lu comme il se doit.
RESUME
Avec ce second volume on suit la belle jeune femme qui n'hésite pas à s'offrir à qui le désire, qui explore les jeux de la séduction, de sa féminité, de ses limites.
Dans ce deuxième volet d'initiation érotique, il est plus que jamais question de se donner, et de se donner à plusieurs, car "l'amour d'aimer est ce qui fait de vous la fiancée du monde".
Mario, l'initiateur d'Emmanuelle, invite cette dernière à mener plus loin sa mission érotique, à vivre de nouvelles expériences et à démultiplier le nombre de ses partenaires. Il lui propose des situations de plus en plus insolites, de l'exhibitionnisme masturbatoire au "festival de la volupté" (une orgie) en passant par la prostitution volontaire au sein d'une "maison de verre" futuriste. Emmanuelle et Mario rencontrent la jeune et sage Anna Maria Serguine, et à travers cette nouvelle figure que les deux amants vont progressivement faire entrer dans leur jeu, c'est d'une véritable conversion érotique qu'il s'agit.
Anna Maria est croyante, vierge et récalcitrante, et Emmanuelle est amoureuse d'elle.
LE FILM
Emmanuelle 2 est aussi un film français réalisé en 1975 par Francis Giacobetti avec Sylvia Kristel, Umberto Orsini. Ce film a naturellement eu moins de retentissement que le premier de la série, qui a vraiment fait date. Comme dans le premier film, beaucoup dérotisme et dérotisme.
Emmanuelle retourne en Asie et rejoint son mari à Hong Kong où elle va multiplier les rencontres amoureuses. Elle fait la connaissance d'un jeune pilote américain du nom de Christopher et d'Anna-Maria, une jeune fille très attirante.
QUELQUES EXTRAITS DU LIVRE
MICHAEL
« Elle qui avait été nue pendant la plus grande partie de la nuit, il semblait que le geste quelle allait faire pour se dévêtir, debout, dans ce par cette obscurité transparente, la livrait plus que la nudité même. Une pudeur barbare engourdissait ses doigts. Puis lidée que ses compagnons attendaient delle, justement, quelle leur fît présent de sa métamorphose lui rendit courage. Se découvrir prenait alors un sens, réalisait un acte érotique, avec son protocole, ses préliminaires solennels. Elle se réjouit de nêtre pas nue encore, de sorte quelle pouvait faire uvre de beauté en le devant et donner forme ainsi à plus quune beauté immobile et déjà achevée : une beauté naissante, le moment ailé où largile devient seins, ventre, jambes, figure.
Elle détacha dabord sa ceinture, et sa tunique senfla de vent, puis glissa sur sa taille, découvrant son dos fléchi, creusé dun long sillon qui le divisait de son ombre. Un instant, létoffe saccrocha aux hanches, tordant autour des cuisses et des chevilles ces plis dont les sculpteurs ont tant aimé parer leffigie de Vénus. Et elle semblait, en effet, surgie dun songe antique, si conforme à image préservée au long des siècles dans le cur des hommes que son apparition laissait incrédule.
Peut-être cette vision ne dura-t-elle quun éclair, et il dut suffire dun mouvement des longs cheveux, du profil dun sein ou de la minceur moderne de la taille pour que la statue perdît sa divinité : mais le corps vivant en avait, au passage, recueilli la grâce et restait paré dun autre prestige et dautres pouvoirs que de ceux de la chair. Du coup, ce nétait plus vers la beauté humaine quEmmanuelle, plus parfaite que les courbes divines, que se tendaient les mains des hommes, mais vers le leurre de pierre qui lui avait, le temps dun mirage, prêté la magie de son irréalité immortelle. Les seins de rocher de lAphrodite de Cnide, sils vivaient de vie, qui leur accorderait un regard, auprès des seins dEmmanuelle ? Et pourtant, si inimitable, même par lartisan des dieux, que fût la perfection de ses seins de femme, nul ne portera jamais à lEmmanuelle de chair autant damour que lindicible amour, lamour chimérique qui brûla ceux, dans les temples et dans les grottes où ils la tenaient prisonnière, qui violèrent la déesse de pierre dont les hommes interrogent encore, sans comprendre, le torse foudroyé.
Le prince et Michaël, ne disant mot, regardaient la fantasmagorie se fonde dans les eaux. Les rides du bassin la brisaient ; elle se morcelait, ses fragments cessaient dêtre. Elle finit par sabolir sans retour et le nuage de sa chevelure surnagea seul, comme la tache noire qui rappelle longtemps à la surface de la mer la trière engloutie, avec ses amphores aux flancs ornés de jeunes filles, leurs danses pieuses et leurs rêves dîles.
Michaël se dévêtit et rejoignit Emmanuelle, au milieu des antigones et des jasmins tombés qui embaumaient la vasque. Ils se laissèrent flotter, pris parfois aux rets de longues tiges aquatiques, ou jouant à plonger sous les feuilles natantes, géantes et plates, de ces nénuphars que lon dit capables de porter le poids dun homme. Le prince était parti. Ils se serrèrent lun contre lautre. Les sens dEmmanuelle sémurent à effleurer la verge longue et dure comme une flûte qui disait le désir de lhomme.
- En veux-tu ?
Il fit signe que non, en riant, mais il approcha sa joue de la sienne pour la regarder boire, et les cheveux humides dEmmanuelle couvrirent leurs épaules, faisant une seule tête à leurs corps jumeaux. Puis, comme elle avait froid, il sétendit sur elle de tout son long, et ils se dirent des mots damour. Orion est au-dessus deux, avec son glaive éclaboussé de nébuleuses et les gemmes de sa ceinture, dont Emmanuelle se répète la formule cabalistique : Anilam, Alnitak, Mintaka
Sa pensée se dilue dans un rêve. »
MARIO
« On ne peut la voir commodément de la rue, à cause des arbres. Mais, derrière les fenêtres qui, par-dessus la haie, donnent sur son jardin, elle ne doute pas que ses voisins lobservent. Qui sont-ils ? Elle nen sait rien, elle ne les a jamais vus. Que doivent-ils ressentir ? Peut-être se masturbent-ils ? Elle se représente leurs mains fiévreuses, et son clitoris sérige, durcit, émet jusquà ses tempes des ondes pressantes
La voix de Mario la fait tressaillir.
Vous arrive-t-il de vous caresser devant vos serviteurs ? linterroge-t-il.
Mais oui.
En réalité, Ea seule est sa confidente muette, lorsque Emmanuelle se fait lamour, le matin, dans son lit ou sous sa douche, ou, après le déjeuner de midi sur une chaise longue, lisant ou écoutant des disques.
Alors, enchaîne linvité, soyez gentille : appelez votre boy. Oui, maintenant. Il est si beau !
Emmanuelle sent le cur lui manquer. Non, cela, elle ne le peut pas ! Il faut que Mario le comprenne
Mais le regard du juge pèse sur elle. On dirait, remarque-t-elle, quil fait le compte du temps perdu ! Pour un peu, elle croirait entendre les « tops » fatidiques qui mesurent sa culpabilité. Encore un, un autre : combien de minutes déternité, déjà, ont-elles été portées à son débit ? Puisquelle sait que, tôt ou tard, elle se conduira comme il le prédit (car ce ne sont pas des ordres quil donne, mais en elle quil lit, avec à peine un peu davance sur sa propre conscience), à quoi bon atermoyer ? »
PHILOSOPHIE DU PLAISIR
« Oui, à un moment donné, tout a servi. Même le christianisme. Un jour, aux mortels hagards de sacrifices et de magies, à leurs tribus affolées de méfiances et de mépris, un homme est venu dire : aimez-vous ! Vous êtes une unique espèce fraternelle. Il ny a pas de race élue ; ni desclaves ; ni de damnés. Je vous réveille de vos fictions et de vos carnages. Je vous délivre de vos idoles et du chimérique fardeau de vos fautes originelles. Vos prêtres, leurs temples et leurs livres nont plus réponse à tout : cest à vous-mêmes que vous devrez poser des questions, sans ignorer que vous naurez jamais de réponse. Cest votre quête sans fin ni cesse qui fonde votre existence et votre liberté. Vous ne serez jugés que sur ce que vous aurez fait
Ce jour-là, le monde a fait un pas en avant. Puis le sens de lévangile sest perdu ; et la doctrine de progrès est devenue un grand système de contrainte, où tout élan de vie est péché. Le messie avait servi lévolution ; son église lui fait obstacle. Lamour, cest à vous, aujourdhui, den apporter la bonne nouvelle. Un amour qui ne soit pas une offense. Un amour qui libère de la honte, et devant le sacrilège duquel les pharisiens, une fois encore, se voilent la face. Un amour qui démystifie, et cependant gonflé comme une voile du sortilège et du mystère des grands commencements. Un amour qui soit une victoire sur la faiblesse et sur la peur, une victoire de la vie. « Jouis de la vie avec une femme que tu aimes », sécrie lEcclésiaste. « Tout ce que ta main peut faire, fais-le avec force, car il ny a plus ni uvre, ni intelligence, ni science, ni sagesse dans le séjour des morts où tu iras. » Le corps est ce qui vaut quon pleure damour : « Non, pas le ciel ! conjurait la mourante. Non, pas le ciel, mais mon amant ! » À lamour de la mort que clame le dément, la pensée répond quelle ne veut croire quà la bonté de la vie, à la fête charnelle des vivants : « Mieux vaut un chien vivant quun lion mort
» Seul le mépris du corps fait le corps périssable, et cest davoir tenu ses lois pour viles qui les a avilies. Sil existe au monde quelque chose de sacré, cest bien le sexe qui lincarne. Heureux celui qui, le temps venu de mourir, pourra dire : jai misé sur un corps, je nai pas perdu ma vie. Emmanuelle, je ne crains pas, je nai pas honte de jouer les lendemains du monde sur votre corps ».
LE PLAISIR SELON MARIO
« Ce que je vous rappelle de lhistoire de la pudeur vaut pour les autres tabous sexuels : à quel opprobre vous exposerez-vous si vous avouez, dans la société de vos pairs, que vous aimez à sentir un membre viril entrer dans votre bouche et y prendre jusquau bout son plaisir ! Que vous vous délectez des caresses que, chaque jour, vous accordent vos propres doigts ! Et que votre lit se plaît à connaître dautres corps que celui de lépoux ! Ces interdits ont eu un sens. Quand le devoir de lhomme était de peupler la planète, il eût été peu raisonnable de laisser gaspiller le sperme : ce fut donc une bonne idée que de faire de lonanisme un péché. Maintenant que la prolifération humaine est devenue un péril, cest de jouir dans le vagin des femmes qui devrait être condamné ; et la vertu serait de ne répandre sa semence que là où elle ne risque pas de fructifier. Du coup, lantique crainte de lépoux que sa femme soit fécondée par dautres que par lui na plus sa raison dêtre et moins encore depuis que les techniques contraceptives se sont ajoutées à lart des attouchements et des lèvres pour achever de distinguer les genres. Il est donc caduc, en ce siècle, et une menace pour la pensée, de tenir pour blâmable la recherche du plaisir des sens hors des mécanismes reproducteurs, de même quil est temps de reconnaître inoffensif et légitime le goût de nos femmes pour des pénis nouveaux.
Mario semble attendre une réplique dEmmanuelle, mais elle ne dit rien. Il poursuit donc :
Si nous voulons que nos s aient dautres pouvoirs mentaux que les nôtres, il faut quils trouvent une terre délivrée par notre courage des interdits absurdes et des vaines angoisses. Un savant prude, un savant dévot est un savant entravé : que neussent pas découvert de plus, et de plus grand, sils avaient eu lesprit libre, Pascal ou Pasteur ? Et que dire de lartiste, sil tolère quon lui impose les illères et la longe ? Nul ne peut prétendre au nom dhomme, cet honneur de demain, sil croit ou feint de croire que damné sera le corps qui se montre. Ces étamines, ces pistils, le don au regard de ces grâces nues, dont on loue la nature quelle les ait voulus pour la gloire des fleurs, un dieu pervers ne les aurait donc donnés à sa créature préférée que pour sa contrainte et pour sa chute ? Mais que lon se rassure ! Cest assez de létrange infibulation de ce short pour que les faveurs de léternité vous soient rendues
Ah ! pardonnez-moi cette irritation, mais est-il supportable que tout ce grand peuple des hommes, capable de tant dintelligence et de scepticisme, trempé par tant de millénaires dinsolence et de risque, fort de tant de rire et beau de tant de poésie, soit aujourdhui cet Achille apeuré cherchant son salut dans la friperie, la cachette et la vergogne des vierges ? La tâche de lérotisme, la voilà : désaffubler les vivants des camisoles qui les forcent et des vertugadins qui les ridiculisent ».
ANNA MARIA
« Anna Maria Serguine.
Mario avait fait chanter à nen plus finir le « i » du prénom, sur une note haute, isolée, qui donnait au reste des syllabes un ton de confidence, calfeutré et tendre.
La jeune fille restait assise au volant de sa voiture. Mario lui prit la main, présenta à Emmanuelle les longs doigts sans bagues, à plat sur sa paume.
« Anna Maria », répète un écho au-dedans dEmmanuelle, qui sefforce de ressaisir la sensation de caresse, après la vibration florentine du « r ». Des bribes de plain-chant lui reviennent, imprégnées dencens et de cire chaude. Panis angelicus. Les genoux des filles sous la décence des jupes. Les rêveries délectables. O res mirabilis ! Les gorges qui prolongent les « i », les langues qui les mouillent de leur salive, les lèvres qui sentrouvrent sur les dents offertes
O salutaris hostia
Emmanuelle dore dune lumière de vitrail, venue de lautre bout du monde, le visage inconnu, se reprochant de ne trouver, pour en annoncer la beauté, que des vocables décolière ».
LES TROIS NAGEURS
Le livre se termine sur ce magnifique passage. Emmanuelle va soffrir à trois inconnus sur la plage.
« Les trois hommes ont rencontré Emmanuelle qui flottait dans la houle et ils lont entourée. (
) (Emmanuelle) sest évadée de leur encerclement ; ils ont dû lutter de vitesse avec elle ; ils sont ainsi revenus près du rivage.
Là, leau est plus transparente, elle leur découvre quEmmanuelle est nue. Leurs sens senflamment, ils se rapprochent delle, la touchent, dabord un seul dentre eux, puis tous trois ensemble, aux seins, aux fesses. (
) Une main sinsère entre ses jambes. Des doigts léprouvent, tentent de lentrouvrir. Mais elle séchappe de nouveau (
).
Les garçons latteignent, au pied du bungalow : elle se laisse tomber sur le sable, leur abandonne son corps haletant, sa bouche, que le premier à la prendre mord de désir. Elle sent un sexe, dur comme le rocher proche, heurter son pubis. Elle comprend son impatience, souvre à lui, soffre sans conditions à la violence de ses coups. Elle est heureuse que son vainqueur nait pas cherché à obtenir son consentement, quil la prenne à son bon plaisir, sans se soucier de lattendrir, se ruant au fond delle comme par hâte de la féconder. Ensuite ce sera le tour des autres.
Mais non : après cette première furie, il se contrôle, savoure avec plus de subtilité ce corps quil a désiré ; et ses baisers, maintenant émeuvent Emmanuelle autant que la force de son rut.
Abruptement, il roule sur le côté, puis sur le dos, de sorte quelle est désormais au-dessus de lui. Elle comprend lintention de ce mouvement, lorsquelle sent des mains nouvelles caresser ses fesses, les écarter, et une autre verge, irrésistiblement, y pénétrer, sans que son premier amant se soit retiré de son sexe. (
) Le plaisir de ces virilités gémelles dans son ventre et ses reins est aussi son plaisir. Elle les imagine longues, fortes, cambrées, souveraines, séparées, mais si peu, par de minces membranes. Elle voudrait que cet obstacle même sabolisse et que les hommes, à force de creuser et éroder (
) ses parois, finissent par accoler en elle (
) leurs sexes nus (
) et les confondre dans une éjaculation ineffable.
Mais ce nest pas assez encore : un ultime accès, une autre ressource voluptueuse de son corps reste libre. (
.) le phallus du troisième mâle entre dans sa bouche.
(
) Ils sont pour elle un seul et même amant, lamant, lunique amant, dont le corps triadelphique a été conçu dans le matin de la mer pour quEmmanuelle soit totalement femme.
Triomphe des sens ? Mais non ! Cette invention de lhomme, cet art qui regarde de haut la nature, qui oserait encore lappeler charnel ? (
) Ces corps qui sont en elle de toute part sont labsolu de lamour.
Tour à tour, ses amants de linstant jouissent en elle. »
CE LIVRE ET MOI
Jai raconté, dans larticle consacré à « la leçon dhomme », le 1er tome dEmmanuelle, comment javais découvert louvrage dans lenfer de la bibliothèque familiale et linfluence quil a eu sur moi, dans la découverte de mon hypersexualité.
Le second tome, qui, comme nous lavons vu, est en fait une partie intégrante du premier, est plus « philosophique », en ce sens quil illustre une philosophie du plaisir et contient des passages dun érotisme torride, que je ne peux lire sans avoir lenvie irrésistible de me caresser jusquà la jouissance.
Mon expérience auprès de mon mari candauliste me permet incontestablement de me revendiquer comme étant, moi aussi, une « antivierge ». Jen suis fière et je nen remercierai jamais assez Philippe qui ma poussé et permis dassumer sans freins mon hypersexualité.
Emmanuelle, le roman, son auteur, a montré la voie. Pour ma part, je continue de lexplorer.
PS: je voulais, pour mes lecteurs Premium, illustrer ce récit par des photos, mais il n'est pas possible de les télécharger ici pour le moment. Ce sera donc fait ultérieurement.
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